Pedro
Varela:
Victory in European Court of Human Rights: Spain
ordered to pay him damages and costs Tuesday, March
5, 2013 pedrodk@hotmail.com Tuesday, March 5, 2013
TROISIÈME SECTIONAFFAIRE VARELA GEIS c. ESPAGNE (Requête no 61005/09) ARRÊT STRASBOURG 5 mars 2013 Cet arrêt deviendra définitif dans
les conditions définies à l'article
44 § 2 de la Convention. Il peut subir des
retouches de forme. En l'affaire Varela Geis c. Espagne, - La Cour européenne des droits de
l'homme (troisième section),
siégeant en une chambre composée
de :
- Josep Casadevall, président,
- Alvina Gyulumyan,
- Corneliu Bîrsan,
- Ján _ikuta,
- Luis López Guerra,
- Nona Tsotsoria,
- Valeriu Gri_co, juges,
- et de Santiago Quesada, greffier de
section,
Après en avoir
délibéré en chambre du conseil
le 12 février 2013, Rend l'arrêt que voici, adopté
à cette date : PROCÉDURE 1. A l'origine de l'affaire se trouve une
requête (no 61005/09) dirigée contre
le Royaume d'Espagne et dont un ressortissant de
cet Etat, M. Pedro Varela Geis (« le
requérant »), a saisi la Cour le 5
novembre 2009 en vertu de l'article 34 de la
Convention de sauvegarde des droits de l'homme et
des libertés fondamentales (« la
Convention »). 2. Le requérant est
représenté par Me J.-M. Ruiz Puerta,
avocat à Madrid. Le gouvernement espagnol
(« le Gouvernement ») a été
représenté par son agent, F. Irurzun
Montoro, avocat de l'Etat. 3. Le requérant se plaint, d'une part,
d'avoir été condamné en appel
pour un délit - la diffusion d'idées
ou de doctrines tendant à justifier des
actes de génocide - qui n'était pas
l'objet de l'accusation ni de sa condamnation en
première instance ; il estime, d'autre part,
qu'une telle condamnation porte atteinte à
ses droits à la liberté de
pensée et à la liberté
d'expression. Il invoque les articles 6
§§ 1 et 3 a) et b), 9 et 10 de la
Convention. 4. Le 20 septembre 2011, les griefs du
requérant concernant sa condamnation pour un
délit dont il n'avait pas été
accusé et ceux concernant les droits
à la liberté de pensée et
d'expression ont été
communiqués au Gouvernement. La
requête a été
déclarée irrecevable pour le surplus.
Comme le permet l'article 29 § 1 de la
Convention, il a en outre été
décidé que la chambre se prononcerait
en même temps sur la recevabilité et
le fond. EN FAIT I. LES CIRCONSTANCES DE
L'ESPÈCE 5. Le requérant est né en 1957 et
réside à Barcelone. Il était
le propriétaire et le directeur dans cette
même ville d'une librairie
spécialisée, qui vendait notamment
des ouvrages sur l'Holocauste. A. La procédure pénale 6. Le 11 décembre 1996, le procureur
général de Catalogne demanda au juge
de garde de Barcelone l'ouverture d'une
enquête pénale contre le
requérant pour, entre autres, un
délit présumé « de
génocide ». Par une décision du
même jour, le juge d'instruction no 4 de
Barcelone ordonna la perquisition du domicile et de
la librairie du requérant. 7. Sur la base d'une partie du matériel
saisi lors des perquisitions, le ministère
public déposa un acte provisoire
d'accusation demandant la condamnation du
requérant pour délit continu de
« génocide », lui reprochant la
négation de l'existence de l'Holocauste, sur
le fondement de l'article 607 § 2 du code
pénal, et pour délit continu de
« provocation à la discrimination pour
des motifs raciaux », selon l'article 510
§ 1 du code pénal. En tant
qu'accusateur privé, la Communauté
israélite de Barcelone (Comunidad israelita
de Barcelona) sollicita dans son acte d'accusation
provisoire la condamnation du requérant pour
le délit continu prévu par l'article
607 § 2 du code pénal, estimant les
faits constitutifs de « négation du
génocide subi par le peuple juif et de
tentative de réhabilitation du régime
nazi », et pour le délit continu
prévu par l'article 510 § 1 du code
pénal, estimant que les faits étaient
également constitutifs de « provocation
à la discrimination de groupes pour des
motifs de race et/ou antisémites ».
L'autre accusateur privé, ATID-SOS Racisme
Catalunya, sollicita dans son acte d'accusation
provisoire la condamnation du requérant
pour, entre autres, le délit prévu
par l'article 607 § 2 du code pénal
dans la mesure où « nombre des livres
et vidéos saisis nient directement
l'Holocauste ou font l'apologie du génocide
» et « nient la vérité
historique du génocide », ainsi que
pour le délit prévu par l'article 510
§§ 1 et 2 du code pénal. Ces actes
provisoires d'accusation furent transformés
tels quels en actes d'accusation définitifs
après l'administration des preuves. 8. Par un jugement du 16 novembre 1998 du juge
pénal no 3 de Barcelone, rendu après
la tenue d'une audience publique, le
requérant fut condamné à une
peine de deux ans de prison pour délit
continu « de génocide » au visa de
l'article 607 § 2 du code pénal, ainsi
qu'à trois ans de prison et une amende pour
délit continu de provocation à la
discrimination, à la haine et à la
violence contre des groupes ou des associations
pour des motifs racistes et antisémites, en
vertu de l'article 510 § 1 du même code.
Le juge considéra que la majorité du
matériel vendu dans la librairie
propriété du requérant portait
sur l'Holocauste juif, l'Allemagne nazie et le
Troisième Reich, qu'il exaltait le
régime national-socialiste et niait la
persécution du peuple juif, et que la
librairie tendait à convaincre ses clients
que l'Holocauste « était et est
toujours un grand mensonge ». Les faits
considérés comme prouvés par
le jugement en cause étaient décrits
comme suit : « 1. [Le requérant] (...),
en sa qualité de propriétaire et
directeur de la librairie Europa, sise au 12, rue
Seneca de ladite ville de Barcelone, a
procédé de façon habituelle et
continue, après juin 1996 et en toute
connaissance de l'entrée en vigueur en
Espagne de la législation pénale
actuelle en la matière, à la
distribution et à la vente de
matériels sous forme de supports
documentaires et vidéographiques, de livres,
de publications, de lettres et d'affiches, etc.,
dans lesquels, de façon
réitérée et vexatoire à
l'égard du groupe social formé par la
communauté juive, étaient niés
la persécution et le génocide subis
par ce peuple pendant la Seconde Guerre mondiale,
massacre collectif programmé et
exécuté par les responsables de
l'Allemagne nazie à l'époque du IIIe
Reich. L'immense majorité de ces
publications contenaient des textes d'incitation
à la discrimination et à la haine
envers la race juive, en les considérant
comme des êtres inférieurs qui doivent
être exterminés comme « des rats
». 2. [Lors de la perquisition au sein de la
librairie] ont été saisis 20 972
livres, 324 cassettes vidéo, 35 cassettes
audio, 124 photolites (fotolitos), 35 catalogues et
de nombreux courriers en rapport avec les
publications citées, ainsi qu'une multitude
de revues, cartes postales, affiches, dans lesquels
apparaissent reproduits des symboles du
national-socialisme, dans une attitude de franche
exaltation et en faisant des allusions offensantes
réitérées et un
dénigrement de la race juive. 3. Dans la librairie se vendaient aussi d'autres
publications d'art, d'histoire et de mythologie,
mais leur nombre était manifestement moindre
par rapport aux uvres dédiées
au révisionnisme [au sujet] de
l'Holocauste juif. Le public habituel de
l'établissement était
constitué de jeunes
caractérisés par leurs
affinités avec des idéologies qui
défendent la violence comme méthode
de résolution des conflits. Ces publications
et le matériel s'exportaient par courrier
chez de nombreux clients en Allemagne, en Autriche,
en Belgique, au Brésil, au Chili, en
Argentine et en Afrique du Sud, entre autres. La
librairie Europa figurait dans toute la
correspondance envoyée et reçue en
tant qu'éditrice et distributrice du
matériel commercialisé. 4. A titre purement illustratif (...) les
extraits suivants méritent d'être
signalés : A) Dans le livre intitulé « Six
millions sont réellement morts » (sic)
: « (...) cette affirmation constitue
l'invention la plus colossale et l'escroquerie la
plus caractérisée jamais
écrite (p. 4). Tant que ce mythe sera
maintenu, les peuples de tous les pays en seront
les esclaves. Il est inconcevable qu'Hitler, s'il
avait eu l'intention d'exterminer les Juifs,
eût permis que plus de 800 000 d'entre eux
abandonnassent le territoire du Reich et il est
encore moins concevable qu'il eût
envisagé des plans pour leur
émigration en Argentine ou à
Madagascar (p. 7). Si l'histoire des 6 millions de
morts était véritable, ceci
signifierait qu'ils auraient presque tous
été exterminés (p. 43). Il
faut se demander s'il aurait été
physiquement possible de détruire les
millions de Juifs prétendument
assassinés. Les Allemands
disposèrent-ils du temps nécessaire
pour cela ? » B) Dans le livre intitulé « Rapport
Leuchter, la fin d'un mensonge : chambres à
gaz et Holocauste juif » (sic) : « (...)
Nous dédions à Adolf Hitler
l'édition en castillan et la publication au
Chili de ce rapport, qui détruit pour
toujours le mensonge infâme de l'Holocauste
juif (p. 5). Il n'y a jamais eu de chambres
à gaz ni d'Holocauste (p. 10). La nature
juive elle-même édifie son existence
sur le mensonge, le plagiat, le faux, depuis les
temps les plus lointains. Ce sont leurs livres,
comme le Talmud, qui le disent. Alfred Rosenberg
avait dit : « la vérité du Juif
est le mensonge organique. L'Holocauste est un
mensonge. Les chambres à gaz sont un
mensonge ; les savons faits avec de la graisse de
Juif sont un mensonge ; les crimes de guerre nazis
sont un mensonge ; le journal intime d'Anne Frank
est un mensonge. Tout est mensonge ; des mensonges
génétiquement montés par une
anti-race qui ne peut pas dire la
vérité parce qu'elle se
détruirait, parce que son aliment, son air
et son sang sont le mensonge » (p. 10). Comme
les Juifs contrôlent la banque
internationale, l'argent et les médias
mondiaux, ils répètent
impunément leur mensonge sur le
génocide, l'Holocauste, les camps
d'extermination nazis et la
méchanceté congénitale du
peuple allemand (p. 11). C) Dans le livre intitulé «
Absolution pour Hitler » (sic) : « (...)
Les chambres à gaz sont des fantasmes de
l'après-guerre et de la propagande,
comparables dans toute leur extension aux
immondices recueillies pendant la 1re Guerre
mondiale (p. 26). La Solution finale n'était
pas un plan de destruction mais d'émigration
(p. 38). Auschwitz était une fabrique
d'armement et non pas un camp d'extermination (p.
39). Il n'y a pas eu de chambres à gaz ; il
n'y avait pas de chambres semblables dans
lesquelles les enfants, les femmes et les
vieillards auraient été
envoyés pour y être gazés,
apparemment avec du Zyklon-B. Ceci n'est que
légende et commérage. Il n'y a pas eu
de chambres à gaz à Dachau, il n'y en
a pas eu non plus dans d'autres camps de
concentration en Allemagne (p. 82). Ce que nos
ennemis oublient toujours de dire c'est que si les
fours crématoires existaient, c'était
toujours pour les morts et non pas pour les vivants
qu'ils étaient utilisés.
Prétendre que les prisonniers
condamnés à mort étaient
brûlés vifs est un mensonge
infâme et nos ennemis le savent. Personne,
juif ou non-juif, ne fut brûlé vif
sous l'ordre d'une autorité
nationale-socialiste (p. 122). De ces livres ont été saisis
respectivement 17, 16 et 275 exemplaires. Les
livres intitulés « Rapport Leuchter, la
fin d'un mensonge sur l'Holocauste juif »,
« Le Juif international », « Le
mythe du XXe siècle », « La
politique raciale nationale-socialiste »,
« Nous, les racistes », «
L'antisémitisme actuel », saisis au
nombre de 16, 117, 21, 308, 22 et 255 exemplaires
respectivement, qui étaient en vente
à la librairie Europa, contiennent des
affirmations et des jugements similaires. Par
ailleurs, toutes les vidéos saisies
contiennent des références textuelles
claires à la race juive en tant que groupe
ethnique à éliminer. Il est à
noter une cassette vidéo intitulée
« Le Juif errant » qui compare ladite
race aux rats, propagateurs de maladies dans le
monde et qui doivent être exterminés
sans hésitation. 5. A une date non déterminée
durant l'automne-hiver 1996, [le
requérant] a rédigé, puis
distribué à ses clients, par courrier
électronique ou en personne à ceux
qui se rendaient à la librairie Europa, le
no 10 d'une série intitulée «
lettres » où, sous le titre « Le
mythe d'Anne Frank », il affirmait entre
autres : « Le mythe, ou devrait-on
plutôt dire l'arnaque ( ?), d'Anne Frank est
probablement les deux choses en même temps,
d'après les recherches qu'on a faites
à cet égard. Connue dans le monde
entier pour son fameux Journal intime, elle est
sans aucun doute « la victime la plus connue
de l'Holocauste » (...) Mais le cas d'Anne
Frank n'est pas différent de celui de
beaucoup d'autres Juifs assujettis à la
politique de mesures antisémites [qui
fut] mise en uvre en temps de guerre par
les puissances de l'Axe (...). En tant que partie
au programme d'évacuation des Juifs de
l'Europe occidentale, l'enfant de 14 ans et
d'autres membres de sa famille furent
transférés par train des Pays-Bas au
camp de travail d'Auschwitz-Birkenau. Plusieurs
semaines plus tard, face à l'avancée
des troupes soviétiques, elle fut
transférée, avec beaucoup d'autres
Juifs, au camp de Bergen-Belsen, en Allemagne du
Nord où, comme d'autres personnes du groupe,
elle tomba malade du typhus, maladie dont elle
mourut à la mi-mars 1945. Elle ne fut donc
ni exécutée ni assassinée.
Anne Frank mourut, tout comme des millions de
personnes non-juives en Europe pendant les derniers
mois du conflit, en tant que victime indirecte
d'une guerre dévastatrice ». 6. Le siège social de la librairie Europa
était simultanément, jusqu'au moment
de la dissolution de celui-ci en mars 1994, le
siège du Cercle espagnol des amis de
l'Europe (CEDADE), groupe politique
défenseur de l'idéologie
nationale-socialiste, dont [le
requérant] fut le dernier
président. Le matériel
bibliographique des deux entités a
été géré,
utilisé et diffusé indistinctement
sous la supervision et la direction [du
requérant], tant avant qu'après
l'entrée en vigueur du code pénal
actuel ». 9. Le requérant fit appel devant
l'Audiencia Provincial de Barcelone. Il nota que le
juge pénal no 3 avait
considéré que tout le matériel
saisi exaltait le régime nazi ou niait le
génocide juif, mais souligna que ce
matériel n'avait pas été
versé au dossier et que les parties
accusatrices n'avaient d'ailleurs pas
demandé qu'il le fût. Selon le
requérant, le juge pénal no 3 n'avait
donc pas examiné ledit matériel et le
juge d'instruction avait estimé qu'il
n'avait pas de pertinence pénale. Le
requérant insista également sur sa
qualité de simple libraire et non pas
d'éditeur ou de distributeur. Le ministère public ainsi que la
Communauté israélite de Barcelone et
ATID-SOS Racisme Catalunya, parties accusatrices
privées, contestèrent l'appel du
requérant et sollicitèrent la
confirmation du jugement a quo. 10. Le 14 juillet 2000 eut lieu une audience
publique devant l'Audiencia Provincial afin que les
parties se prononcent sur la pertinence de poser
une question préjudicielle auprès du
Tribunal constitutionnel portant sur la
constitutionnalité de l'article 607 § 2
du code pénal. Le requérant fit part
de son accord. La Communauté
israélite de Barcelone et ATID-SOS Racisme
Catalunya s'opposèrent à ce que la
question préjudicielle soit
posée. 11. Par une décision du 14 septembre
2000, l'Audiencia Provincial décida de poser
la question préjudicielle en cause. Elle
rappela que ce qui avait été
déclaré établi par le jugement
de première instance était «
qu'en tant que propriétaire d'une librairie
et bien que [le requérant]
vendît toutes sortes de livres, il
était spécialisé dans la
Seconde Guerre mondiale, mais du point de vue des
auteurs qui défendent l'Allemagne nazie et
nient l'existence de l'Holocauste ».
L'Audiencia Provincial estima que la conduite
sanctionnée par l'article 607 § 2 du
code pénal n'avait d'autre contenu que la
diffusion d'idées ou de doctrines qui nient
ou justifient les génocides ou qui
répandent des idées ou des doctrines
tendant à réhabiliter des
régimes porteurs d'idées
génocidaires. Ainsi
interprétée, cette disposition
entrait en conflit, pour l'Audiencia Provincial,
avec la liberté d'expression, dans la mesure
où la conduite sanctionnée
était la diffusion d'idées ou de
doctrines, sans aucune exigence d'autres
éléments tels que l'incitation
à les concrétiser par des conduites
violant les droits fondamentaux ou l'accompagnement
de telles doctrines par des expressions ou
manifestations attentatoires à la
dignité des personnes. Or toute limitation
d'un droit fondamental devait être
justifiée par la protection d'un autre droit
bénéficiant d'une garantie semblable.
Dans la mesure où le code pénal
contient une série de dispositions qui
sanctionnent amplement les conduites
discriminatoires, une disposition comme celle de
l'espèce ne pouvait pas justifier une
limitation du droit à la liberté
d'expression garanti par l'article 20 de la
Constitution. B. La question préjudicielle devant le
Tribunal constitutionnel 12. Par un arrêt no 235/2007 du 7 novembre
2007, le Tribunal constitutionnel déclara
inconstitutionnel l'article 607 du code
pénal dans sa partie relative à la
négation de génocide, en particulier
les mots « niant ou » (paragraphes 21-22
ci-dessous), et conforme à la Constitution
pour le reste du texte. C. Les suites de la procédure
pénale 13. Le 10 janvier 2008 eut lieu une audience
publique sur le fond de l'affaire devant
l'Audiencia Provincial de Barcelone. Le
requérant demanda si l'accusation
formulée en vertu de l'article 607 § 2
du code pénal était maintenue.
L'Audiencia Provincial indiqua qu'il n'y avait pas
lieu de répondre à la demande. Le
requérant intervint alors oralement en
premier et livra sa plaidoirie. Le ministère
public retira l'accusation de négation de
génocide et demanda l'acquittement du
requérant du délit prévu par
l'article 607 du code pénal. Il sollicita la
condamnation du requérant uniquement pour
délit d'incitation à la
discrimination, à la haine et à la
violence raciale, selon l'article 510 § 1 du
code pénal. A l'audience, les parties
accusatrices privées demandèrent la
confirmation du jugement rendu par le juge a quo,
dans les termes suivants : « Le représentant de SOS Racisme
sollicite la confirmation du jugement dès
lors que [le requérant] savait
parfaitement ce qu'il faisait. (phrase illisible
d'une ligne) La représentante de la Communauté
israélite de Barcelone sollicite la
confirmation du jugement du juge pénal no 3
de Barcelone. Concernant l'erreur dans
l'appréciation des preuves (...), [le
requérant] n'a pas seulement
été condamné en tant
qu'éditeur, il est propriétaire d'un
établissement dans lequel il diffuse des
idées et vend des livres, et il doit
être condamné pour être le
diffuseur de ces idées antisémites.
D'autres livres offraient une couverture à
son activité, dont il avait parfaitement
conscience et qu'il dissimulait ainsi. Il n'est
donc pas un libraire ordinaire. Il faut
apprécier dans son ensemble tout ce qu'il
vendait et qui incitait à la discrimination
envers les Juifs. Il lui avait été
communiqué par lettre (illisible) (...) Il faut analyser les deux délits en cause
[prévus par les articles 510 et 607 du
code pénal]. Il est clair que le
génocide a eu lieu, l'Holocauste est clair ;
on se trouve devant un discours de haine et
lorsqu'un mensonge se répète de
façon continue la loi pénale est
violée. [Le requérant] sait
parfaitement ce qu'il fait au sein de la librairie
Europa, [ce qu'il fait] ne relève
pas de l'histoire, mais est entièrement
politique. Il entend réhabiliter en Europe
le régime nazi. Il s'agit de techniques de
propagande pour réhabiliter le régime
national-socialiste, [et] attirer des
adeptes de cette mouvance. Il existe des
éléments suffisants pour maintenir le
jugement ainsi que la condamnation, le
requérant [s'y exposant] en raison
des idéaux barbares qu'il développe
(...) Ce n'est pas n'importe quel libraire, c'est
un activiste et militant nazi qui a conscience de
ce qu'il fait. (Paragraphe illisible) Concernant la méconnaissance d'une
disposition constitutionnelle, il faut analyser la
nouvelle jurisprudence de 2007 du Tribunal
constitutionnel et, contrairement [au]
ministère public, nous considérons
qu'il faut maintenir le jugement attaqué
intégralement, y compris pour ce qui est de
l'article 607 du code pénal. Le jugement
[a quo] ne condamne pas [le
requérant] uniquement pour la
négation de l'Holocauste, mais [parce
que sa conduite] incitait à la
discrimination et à la haine envers la race
des Juifs « qui doivent être
éliminés comme des rats ». Il va
plus loin que la négation de l'Holocauste.
La condamnation [au titre] de l'article 607
§ 2 doit être maintenue. Concernant l'infraction à la loi, les
éléments constitutifs du délit
prévu par l'article 510 du code pénal
sont réunis à travers la provocation
à la haine raciale. C'est la
responsabilité pénale du diffuseur
(illisible). Concernant la prescription (...) Je sollicite la confirmation du jugement [a
quo] dans ses propres termes. » 14. Par un arrêt du 5 mars 2008,
l'Audiencia Provincial infirma partiellement le
jugement attaqué, acquitta le
requérant du délit prévu par
l'article 510 du code pénal et le condamna
à sept mois de prison pour délit de
justification de génocide, selon l'article
607 § 2 du code pénal. Pour fixer le
quantum de la peine d'emprisonnement
infligée au requérant à sept
mois, donc en deçà de la durée
de un à deux ans prévue par l'article
607 § 2, l'Audiencia Provincial prit en compte
le laps de temps écoulé entre le
jugement de première instance et
l'arrêt rendu en appel. 15. Elle rappela à titre liminaire
qu'elle était liée par l'arrêt
du Tribunal constitutionnel rendu en réponse
à la question préjudicielle qu'elle
avait posée, ce qui impliquait que les faits
retenus par le jugement de première instance
comme constitutifs d'une négation de
génocide devaient maintenant être
exonérés de toute sanction
pénale. 16. L'Audiencia Provincial nota dans son
arrêt, en faisant référence
à l'interprétation donnée par
l'arrêt no 235/2007 du Tribunal
constitutionnel des articles 510 et 607 du code
pénal, qu'il existait une réelle
différence entre, d'une part, la simple
diffusion de doctrines comportant une incitation
indirecte à la commission d'actes de
génocide ou bien à la discrimination,
à la haine ou à la violence et,
d'autre part, le délit d'incitation directe
à la discrimination, à la haine et
à la violence prévu par l'article 510
du code pénal. Or les faits
considérés comme établis par
le jugement du juge a quo permettaient de
constater, pour l'Audiencia Provincial, que le
requérant avait certes entrepris des
activités de diffusion des doctrines
mentionnées, mais que rien ne permettait de
lui attribuer une conduite d'incitation directe
à adopter les comportements
mentionnés. La commission d'un délit
d'incitation à la discrimination, à
la haine et à la violence contre des
groupes, tel que défini par l'article 510 du
code pénal, n'était donc pas
établie. L'Audiencia Provincial nota entre
autres : « [s'il] est vrai que dans le
film ''Le Juif errant'', les Juifs sont
assimilés à des rats, il n'y a pas de
référence expresse indiquant que les
Juifs devraient être exterminés comme
des rats. En tout état de cause, ni le
contenu du film ni le discours d'Hitler dans lequel
référence est faite à
l'élimination de la question juive ne
permettent de conclure que la majorité du
matériel saisi promeuve l'extermination des
Juifs ». 17. Concernant la « justification de
génocide » (article 607 § 2 du
code pénal), l'Audiencia Provincial nota que
le Tribunal constitutionnel avait fait les
considérations suivantes dans son
arrêt no 235/2007 : « (...) il est constitutionnellement
légitime de punir pénalement des
conduites qui, bien qu'elles ne tendent pas
à inciter directement à la commission
de délits contre le droit des gens tels que
le génocide, impliquent une incitation
indirecte à une telle commission ou incitent
de façon médiate à la
discrimination, à la haine ou à la
violence, ce qui autorise constitutionnellement
à ériger en infraction la
justification publique d'un génocide
(article 607 § 2 du code pénal)
». L'Audiencia Provincial rappela les faits retenus
comme établis par le jugement de
première instance selon lesquels le
requérant avait procédé, de
manière habituelle et en continu, à
la distribution, à la diffusion et à
la vente de documents, vidéos, livres,
lettres et affiches, qui, dans leur grande
majorité, contenaient des textes incitant
à la discrimination et à la haine
raciales envers les Juifs. Ces articles
étaient mis en vente et exportés par
voie postale vers de nombreux clients à
l'étranger. A la suite des perquisitions
dans la librairie du requérant avaient
été saisis de nombreux documents
contenant des allusions dénigrantes et
offensantes envers les Juifs désignés
comme race et dans lesquels étaient
reproduits, avec exaltation, les symboles du
national-socialisme. Pour l'Audiencia Provincial,
même après la suppression de toutes
les références à des doctrines
négationnistes parmi l'ensemble des faits
retenus comme établis par le jugement a quo,
l'article 607 § 2 du code pénal
trouvait toujours à s'appliquer en
l'espèce sous l'angle du délit de
« justification de génocide »
: « (...) le contenu général
des publications et des matériaux
distribués par le [requérant]
montre, sans aucun doute, la volonté non
équivoque de dénigrer la
communauté juive en la considérant
comme génétiquement menteuse et en
incitant, bien que de façon indirecte,
à la discrimination et à la haine, ce
qui permet, ainsi que l'a indiqué le
Tribunal constitutionnel, de [retenir] le
délit de justification publique du
génocide (article 607 § 2 du code
pénal). » 18. Le requérant présenta alors
une demande tendant à faire constater la
nullité de la procédure, qui fut
rejetée par une décision de
l'Audiencia Provincial du 8 mai 2008. 19. Le requérant saisit alors le Tribunal
constitutionnel d'un recours d'amparo sur le
fondement des articles 24 (droit au procès
équitable), 25 (principe de
légalité), 16 (liberté de
pensée) et 20 (liberté d'expression)
de la Constitution, recours qui fut
déclaré irrecevable par une
décision du 22 avril 2009, notifiée
le 7 mai 2009. II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES
PERTINENTS 20. L'article 510 § 1 du code pénal
dispose : « Ceux qui, pour des motifs raciaux ou
antisémites ou pour d'autres motifs ayant
trait à l'idéologie, à la
religion ou aux croyances, à la situation
familiale, à l'appartenance de leurs membres
à une ethnie ou à une race, à
l'origine nationale, au sexe ou à
l'orientation sexuelle, à la maladie ou au
handicap, incitent à la discrimination,
à la haine ou à la violence contre
des groupes ou des associations seront passibles
d'une peine d'un à trois ans
d'emprisonnement et d'une amende de trois à
douze mois. » 21. Le délit de génocide est
prévu par l'article 607 du code
pénal. Dans sa rédaction
antérieure à l'arrêt du
Tribunal constitutionnel no 235/2007 du 7 novembre
2007, cette disposition était
libellée comme suit : « 1. La poursuite d'un but de destruction
totale ou partielle d'un groupe national, ethnique,
racial ou religieux rend punissables : 1o. D'une peine de prison de quinze à
vingt ans, le fait de tuer l'un de ses membres
; (...) 2o. D'une peine de prison de quinze à
vingt ans, l'agression sexuelle de l'un de ses
membres ou l'infliction de lésions telles
que décrites à l'article 149 ; 3o. D'une peine de prison de huit à
quinze ans, la soumission du groupe ou de l'un de
ses membres à des conditions d'existence
mettant en péril sa vie ou perturbant
gravement sa santé, ou le fait de lui
infliger l'une des sanctions prévues par
l'article 150 ; 4o. D'une peine identique, le fait de
déplacer de force le groupe ou ses membres,
d'adopter toute mesure tendant à
empêcher son genre de vie ou sa reproduction
ou de transférer de force des individus d'un
groupe à un autre ; 5o. D'une peine de prison de quatre à
huit ans, l'infliction de toute lésion autre
que celles prévues aux alinéas 2 et 3
du présent paragraphe. 2. La diffusion par tout moyen d'idées ou
de doctrines niant ou justifiant les délits
prévus par le paragraphe
précédent de la présente
disposition ou tendant à la
réhabilitation de régimes ou
d'institutions prônant des pratiques
constitutives de tels délits, est passible
de peines d'un à deux ans d'emprisonnement.
» 22. Depuis l'arrêt no 235/2007 du Tribunal
constitutionnel, l'article 607 § 2 se lit
comme suit : « La diffusion par tout moyen
d'idées ou de doctrines justifiant les
délits prévus par le paragraphe
précédent de la présente
disposition ou tendant à la
réhabilitation de régimes ou
d'institutions ayant prôné des
pratiques constitutives de tels délits, sera
passible de peines d'un à deux ans
d'emprisonnement. » 23. L'article 38 § 3 de la loi organique
sur le Tribunal constitutionnel dispose : « Lorsque son arrêt est rendu dans le
cadre d'une question préjudicielle de
constitutionnalité, le Tribunal
constitutionnel le communique immédiatement
à l'organe judiciaire compétent pour
connaître de la procédure [au
principal]. Ledit organe notifie l'arrêt
du Tribunal constitutionnel aux parties. Le juge ou
le tribunal en cause est lié par
l'arrêt ainsi rendu par le Tribunal
constitutionnel à partir du moment où
il en a eu connaissance, et les parties à
partir du moment où l'arrêt leur a
été notifié. » 24. L'arrêt no 259/2011 du Tribunal
suprême, rendu le 12 avril 2011, qui a
acquitté en cassation quatre libraires qui
vendaient des ouvrages similaires à ceux en
cause dans la présente affaire, contient,
entre autres, les réflexions suivantes : « 10. (...) S'agissant d'éditeurs ou
de libraires, la possession de quelques exemplaires
de ce type d'ouvrages, indépendamment de
leur nombre, aux fins de leur vente ou de leur
distribution (...) n'implique pas en soi un acte de
diffusion des idées au-delà du fait
d'en mettre les supports documentaires à la
disposition des utilisateurs potentiels. Par
conséquent, il n'y a là rien de
différent de ce qui peut être attendu
de leur métier. Bien que ces ouvrages
contiennent une certaine forme de justification du
génocide, cela n'implique pas en soi une
incitation directe à la haine, à la
discrimination ou à la violence envers les
groupes [concernés], ou une
incitation indirecte à la commission d'actes
constitutifs de génocide. En outre, bien que
dans ces ouvrages figurent des concepts, des
idées ou des doctrines discriminatoires ou
outrageantes envers des groupes de personnes, il ne
peut pas non plus être
considéré que ces actes de diffusion
puissent créer par eux-mêmes un climat
d'hostilité impliquant un danger
sérieux de concrétisation dans des
actes spécifiques de violence contre
[ces groupes]. Dans les faits déclarés
établis il n'a été
décrit, [comme il le faudrait pour que
le délit en cause puisse être
considéré comme
constitué], aucun acte de promotion,
publicité, défense publique,
recommandation, glorification, incitation ou autres
conduites semblables imputables aux accusés
et qui, [soit] auraient
présenté comme bonnes telles
idées ou doctrines contenues dans les livres
qu'ils éditaient, distribuaient ou
vendaient, en raison de leur contenu pronazi,
discriminatoire ou en faveur ou en défense
du génocide, [soit] auraient
insisté sur l'opportunité de les
acquérir pour connaître et
développer de telles idées ou
doctrines, ou conseillé de quelque
façon que ce soit leur mise en pratique,
actes qui auraient [en ce cas] pu
être considérés comme des
activités de diffusion avec une
portée plus large et distincte du
[simple] fait d'éditer certaines
uvres ou de mettre des exemplaires à
la disposition des clients éventuels. (...) 11. (...) Malgré le contenu des
publications en cause - qui, comme il a
déjà été dit, est
totalement inacceptable du point de vue du respect
de la dignité humaine -, il n'a
été déclaré
prouvé [à l'encontre de
l'intéressé] aucun autre acte de
diffusion que la possession de livres dans le cadre
de son métier, ce qui, en soi, ne constitue
pas une incitation indirecte à la commission
du délit de génocide. Sa conduite,
telle qu'elle est décrite, ne peut pas non
plus être considérée comme
créatrice d'un climat social impliquant un
danger qui puisse se concrétiser par des
faits violents contre les groupes en cause.
» III. INSTRUMENTS ET RAPPORTS INTERNATIONAUX A. Le Conseil de l'Europe 25. L'annexe à la Recommandation no R
(97) 20 du Comité des Ministres du Conseil
de l'Europe sur le « discours de haine »,
adoptée le 30 octobre 1997, se lit comme
suit : « Champ d'application » Les principes énoncés
ci-après s'appliquent au discours de haine,
en particulier à celui diffusé
à travers les médias. Aux fins de l'application de ces principes, le
terme « discours de haine » doit
être compris comme couvrant toutes formes
d'expression qui propagent, incitent à,
promeuvent ou justifient la haine raciale, la
xénophobie, l'antisémitisme ou
d'autres formes de haine fondées sur
l'intolérance, y compris
l'intolérance qui s'exprime sous forme de
nationalisme agressif et d'ethnocentrisme, de
discrimination et d'hostilité à
l'encontre des minorités, des
immigrés et des personnes issues de
l'immigration. (...) Principe 4 Le droit et la pratique internes devraient
permettre aux tribunaux de tenir compte du fait que
des expressions concrètes de discours de
haine peuvent être tellement insultantes pour
des individus ou des groupes qu'elles ne
bénéficient pas du degré de
protection que l'article 10 de la Convention
européenne des Droits de l'Homme accorde aux
autres formes d'expression. Tel est le cas lorsque
le discours de haine vise à la destruction
des autres droits et libertés
protégés par la Convention, ou
à des limitations plus amples que celles
prévues dans cet instrument. Principe 5 Le droit et la pratique internes devraient
permettre que, dans les limites de leurs
compétences, les représentants du
ministère public ou d'autres
autorités ayant des compétences
similaires examinent particulièrement les
cas relatifs au discours de haine. A cet
égard, ils devraient notamment examiner
soigneusement le droit à la liberté
d'expression du prévenu, dans la mesure
où l'imposition de sanctions pénales
constitue généralement une
ingérence sérieuse dans cette
liberté. En fixant des sanctions à
l'égard des personnes condamnées pour
des délits relatifs au discours de haine,
les autorités judiciaires compétentes
devraient respecter strictement le principe de
proportionnalité. » 26. Les parties pertinentes du rapport du 7
décembre 2010 de la Commission
européenne contre le racisme et
l'intolérance (« ECRI »)
concernant l'Espagne se lisent comme suit : « 17. L'ECRI est préoccupée
par la décision [du Tribunal
constitutionnel] en 2007. Celle-ci estime que
l'incrimination du négationnisme est
contraire à la Constitution. [Le
Tribunal] déclare que la négation
simple et neutre de certains faits, sans aucune
intention de justifier la violence, la haine ou la
discrimination ou d'y inciter, n'a aucune incidence
pénale (...). 18. L'ECRI recommande, conformément
à sa Recommandation de politique
générale no 9 sur la lutte contre
l'antisémitisme, de prendre les mesures
nécessaires pour veiller à ce que le
négationnisme soit puni ». B. L'Union européenne 27. La décision-cadre no 2008/913/JAI du
Conseil du 28 novembre 2008 sur la lutte contre
certaines formes et manifestations de racisme et de
xénophobie au moyen du droit pénal
(Journal officiel no L 328 du 6 décembre
2008) se lit comme suit dans ses parties
pertinentes, : « (...) Article premier Infractions relevant du racisme et de la
xénophobie 1. Chaque Etat membre prend les mesures
nécessaires pour faire en sorte que les
actes intentionnels ci-après soient
punissables: a) l'incitation publique à la violence ou
à la haine visant un groupe de personnes ou
un membre d'un tel groupe, défini par
référence à la race, la
couleur, la religion, l'ascendance, l'origine
nationale ou ethnique; b) la commission d'un acte visé au point
a) par diffusion ou distribution publique
d'écrits, d'images ou d'autres supports; c) l'apologie, la négation ou la
banalisation grossière publiques des crimes
de génocide, crimes contre l'humanité
et crimes de guerre, tels que définis aux
articles 6, 7 et 8 du Statut de la Cour
pénale internationale, visant un groupe de
personnes ou un membre d'un tel groupe
défini par référence à
la race, la couleur, la religion, l'ascendance ou
l'origine nationale ou ethnique lorsque le
comportement est exercé d'une manière
qui risque d'inciter à la violence ou
à la haine à l'égard d'un
groupe de personnes ou d'un membre d'un tel
groupe; d) l'apologie, la négation ou la
banalisation grossière publiques des crimes
définis à l'article 6 de la charte du
Tribunal militaire international annexée
à l'accord de Londres du 8 août 1945,
visant un groupe de personnes ou un membre d'un tel
groupe défini par référence
à la race, la couleur, la religion,
l'ascendance, l'origine nationale ou ethnique,
lorsque le comportement est exercé d'une
manière qui risque d'inciter à la
violence ou à la haine à
l'égard d'un groupe de personnes ou d'un
membre d'un tel groupe. 2. Aux fins du paragraphe 1, les États
membres peuvent choisir de ne punir que le
comportement qui est soit exercé d'une
manière qui risque de troubler l'ordre
public, soit menaçant, injurieux ou
insultant. (...) 4. Tout État membre peut, lors de
l'adoption de la présente
décision-cadre ou ultérieurement,
faire une déclaration aux termes de laquelle
il ne rendra punissables la négation ou la
banalisation grossière des crimes
visés au paragraphe 1, points c) et/ou d),
que si ces crimes ont été
établis par une décision
définitive rendue par une juridiction
nationale de cet État membre et/ou une
juridiction internationale ou par une
décision définitive rendue par une
juridiction internationale seulement. » EN DROIT I. SUR LA RECEVABILITÉ DE LA
REQUÊTE 28. Le requérant se plaint d'avoir
été condamné en appel pour un
délit consistant en la diffusion
d'idées ou de doctrines justifiant des actes
de génocide, délit qui ne figurait
pas dans l'acte d'accusation et pour lequel il
n'avait pas été condamné en
première instance. Il fait valoir que sa
condamnation pour délit de justification de
génocide porte atteinte à ses droits
à la liberté de pensée et
d'expression. Il invoque les articles 6
§§ 1 et 3 a) et b), 9 et 10 de la
Convention. 29. Se fondant sur l'article 17 de la
Convention, le Gouvernement invite la Cour à
déclarer la requête irrecevable. Le
message véhiculé par l'ensemble du
matériel saisi chez le requérant
serait contraire à l'esprit et à la
lettre de la Convention. Éditer, diffuser,
vendre internationalement ou être même
l'auteur de publications qui banalisent ou visent
à justifier l'Holocauste juif constituent
des activités contraires à la
Convention. Il invoque à l'appui de son
argumentation les décisions adoptées
par la Commission européenne des droits de
l'homme dans l'affaire Glimmerveen et Hagenbeek c.
Pays_Bas (11 octobre 1979, DR 18) et par la Cour
dans l'affaire Norwood c. Royaume-Uni
((déc.) no 23131/03, CEDH 2004-XI). 30. Le requérant objecte qu'il n'a
été que le vendeur de livres
écrits par des tierces personnes, à
savoir des protagonistes de la Seconde Guerre
mondiale ou d'autres auteurs qui seuls peuvent se
voir reprocher d'avoir nié la
véracité d'un fait historique - le
génocide juif - insistant sur le fait qu'il
n'est pas l'auteur ou l'éditeur des
publications litigieuses. Il souligne que ces
publications ne sont pas interdites en Espagne,
qu'on les trouve dans plusieurs librairies et
qu'elles sont tenues à la disposition de
tout un chacun pour consultation à la
Bibliothèque nationale. Il ajoute que leurs
auteurs n'ont pas, non plus, été
poursuivis. Le requérant renvoie enfin
à l'arrêt du Tribunal suprême du
12 avril 2011 relatif à une affaire
très similaire jugée
postérieurement (dont certains paragraphes
sont reproduits au paragraphe 24 ci-dessus) et qui
a conclu à l'acquittement des libraires en
cause. 31. La Cour considère que les arguments
avancés par le Gouvernement concernant
l'article 17 de la Convention sont
étroitement liés à la
substance des griefs énoncés par le
requérant. La Cour joint donc l'exception au
fond (Féret c. Belgique, no 15615/07, §
52, 16 juillet 2009). 32. La Cour constate que la requête n'est
pas manifestement mal fondée au sens de
l'article 35 § 3 a) de la Convention. La Cour
relève par ailleurs qu'elle ne se heurte
à aucun autre motif d'irrecevabilité.
Il convient donc de la déclarer
recevable. II. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE
DE L'ARTICLE 6 §§ 1 ET 3 a) ET b) DE LA
CONVENTION 33. Le requérant se plaint d'avoir
été condamné en appel pour un
délit consistant en la diffusion
d'idées ou de doctrines justifiant des actes
de génocide, délit qui ne figurait
pas dans l'acte d'accusation et pour lequel il
n'avait pas été condamné en
première instance. Il invoque l'article 6
§§ 1 et 3 a) et b) de la Convention qui,
en sa partie pertinente, est ainsi libellé
: « 1. Toute personne a droit à ce que
sa cause soit entendue équitablement (...)
par un tribunal (...) qui décidera (...) du
bien-fondé de toute accusation en
matière pénale dirigée contre
elle. (...). 2. (...) 3. Tout accusé a droit notamment à
: a) être informé, dans le plus court
délai, dans une langue qu'il comprend et
d'une manière détaillée, de la
nature et de la cause de l'accusation portée
contre lui ; b) disposer du temps et des facilités
nécessaires à la préparation
de sa défense (...) » A. Arguments des parties 34. Le Gouvernement expose que tant les actes
d'accusation que le jugement du juge pénal
no 3 énonçaient que le
requérant avait commis le délit
prévu par l'article 607 § 2 du code
pénal, sans spécifier s'il s'agissait
d'actes de négationnisme ou d'actes de
justification du génocide. Il rappelle
qu'avant l'arrêt no 235/2007 du Tribunal
constitutionnel, le code pénal incriminait
les deux types de comportement de manière
globale et n'exigeait pas de distinguer entre les
conduites à qualifier de
négationnisme et celles à
considérer comme relevant de la «
justification » d'un génocide. Le
requérant avait donc bien été
accusé et mis en mesure de se
défendre, devant le premier juge, des faits
sur lesquels a été fondée sa
condamnation, faits décrits de
manière générale par l'article
607 § 2 du code pénal. 35. Après l'arrêt no 235/2007,
l'Audiencia Provincial tint une nouvelle audience
sur la question de savoir si les faits
établis pouvaient être
considérés non pas comme du
négationnisme mais comme une justification
du génocide. Le représentant du
requérant exposa alors de manière
explicite les motifs pour lesquels il
considérait que la conduite du
requérant relevait du négationnisme
et non de la justification de génocide. Le Gouvernement explique que l'arrêt de
l'Audiencia Provincial a bien pris en compte
l'arrêt du Tribunal constitutionnel et
écarté en conséquence les
faits retenus par le tribunal a quo qui
n'étaient plus pénalement
répréhensibles, mais a simplement
qualifié d'une manière
différente les faits restants. La
manière dont la procédure s'est
déroulée aurait par conséquent
entièrement respecté les droits du
requérant garantis par l'article 6 de la
Convention. 36. De son côté, le
requérant observe que l'article 607 § 2
du code pénal espagnol érigeait en
infraction pénale trois conduites
distinctes, à savoir la diffusion
d'idées ou de doctrines : a) niant ou b)
justifiant des actes génocidaires ou c)
tendant à réhabiliter des
régimes totalitaires ou des institutions
prônant des pratiques
génératrices de tels délits.
La première de ces incriminations a
été déclarée
inconstitutionnelle au motif que la simple
diffusion de conclusions sur l'existence ou non de
certains faits, sans jugement de valeur,
relève de la liberté scientifique
garantie par l'article 20 § 1 de la
Constitution. Concernant la « justification de
génocide », cette notion suppose que
l'exercice de justification en cause implique une
incitation indirecte à sa
perpétration ou lorsqu'en présentant
le délit de génocide comme juste, son
auteur cherche à provoquer d'une certaine
façon à la haine. 37. Le requérant estime que les actes
d'accusation (paragraphe 7 ci-dessus) et les faits
déclarés établis (paragraphe 8
ci-dessus) par le jugement du juge pénal
indiquaient clairement quelle était la
conduite répréhensible poursuivie,
à savoir la négation du
génocide. Il observe que le juge
pénal avait conclu dans son jugement qu'il
avait été prouvé que le
matériel en vente à la librairie
niait la persécution et le génocide
ou se livrait à une révision de
l'Holocauste juif et reproduisait des textes -
recueillis dans les actes d'accusation -
procédant de la négation du
génocide. Il estime par conséquent
qu'en première instance, il n'avait
été condamné que pour
délit de négation de
génocide. 38. Malgré les affirmations du
Gouvernement sur le caractère global de la
définition des conduites punies par la
disposition citée, le requérant
estime que le changement postérieur de
qualification ne saurait être justifié
par la formulation très
générique des actes d'accusation ou
du jugement de première instance, ni par
l'imprécision même du texte de
l'article 607 § 2 du code pénal. 39. Concernant la procédure en appel, le
requérant fait valoir que son appel
était consacré au délit de
négation de génocide, seul chef de
condamnation retenu par le jugement du juge
pénal, et qu'il dut s'exprimer à
l'audience d'appel avant même de savoir si
l'accusation était ou non maintenue. Sa
défense n'aborda donc que la question de la
négation du génocide, se limitant
à indiquer qu'en l'absence de justification
du génocide et de provocation à un
génocide, il devait être
acquitté. Le requérant fait observer
que l'incrimination du négationnisme ayant
été déclarée
inconstitutionnelle, le ministère public
avait retiré son accusation fondée
sur l'article 607 § 2, ce qui constitue selon
lui la preuve que la seule conduite en jeu
était la négation du génocide.
Le requérant note que, à l'audience
devant l'Audiencia Provincial, les parties
accusatrices privées s'étaient
limitées à solliciter la confirmation
du jugement a quo sans demander la modification des
faits précédemment retenus comme
établis et se réfère au fait
que l'Audiencia Provincial a estimé ne pas
pouvoir conclure que la majorité des
publications vendues par lui incitaient directement
à l'extermination des Juifs (paragraphe 16
ci-dessus). Or il a tout de même
été condamné pour délit
de « justification » du génocide.
Il estime par conséquent ne pas avoir
été informé de l'accusation
portée contre lui et ne pas avoir pu se
défendre. B. Appréciation de la Cour 40. La Cour rappelle que l'article 17, pour
autant qu'il vise des groupements ou des individus,
a pour but de les mettre dans
l'impossibilité de tirer de la Convention un
droit qui leur permette de se livrer à une
activité ou d'accomplir un acte visant
à la destruction des droits et
libertés reconnus dans la Convention ;
personne ne doit pouvoir se prévaloir des
dispositions de la Convention pour se livrer
à des actes visant à la destruction
des droits et libertés ci-dessus
visés. Cette disposition, qui a une
portée négative, ne saurait
être interprétée a contrario
comme privant une personne physique des droits
individuels fondamentaux garantis aux articles 5 et
6 de la Convention (Lawless c. Irlande (no 3), 1er
juillet 1961, § 7, série A no 3). La
Cour observe qu'en l'espèce le
requérant ne se prévaut pas de la
Convention en vue de justifier ou d'accomplir des
actes contraires aux droits et libertés y
reconnus, mais qu'il se plaint d'avoir
été privé des garanties
accordées par l'article 6 de la Convention.
Par conséquent, il n'y a pas lieu
d'appliquer l'article 17 de la Convention. 41. Les dispositions du paragraphe 3 a) de
l'article 6 montrent la nécessité de
mettre un soin extrême à notifier
à l'intéressé l'«
accusation » portée contre lui. L'acte
d'accusation joue un rôle déterminant
dans les poursuites pénales : à
compter de sa signification, la personne mise en
cause est officiellement avisée de la base
juridique et factuelle des reproches
formulés contre elle (Kamasinski c.
Autriche, 19 décembre 1989, § 79,
série A no 168, et Pélissier et Sassi
c. France [GC], no 25444/94, § 51,
CEDH 1999_II). L'article 6 § 3 a) de la
Convention reconnaît à l'accusé
le droit d'être informé non seulement
de la cause de l'accusation, c'est-à-dire
des faits matériels qui lui sont
imputés et sur lesquels se fonde
l'accusation, mais aussi de la qualification
juridique donnée à ces faits, et ce
d'une manière détaillée. 42. La portée de cette disposition doit
notamment s'apprécier à la
lumière du droit plus général
à un procès équitable que
garantit le paragraphe 1 de l'article 6 de la
Convention (voir, mutatis mutandis, Artico c.
Italie, 13 mai 1980, § 32, série A no
37 ; Colozza c. Italie, 12 février 1985,
§ 26, série A no 89, et
Pélissier et Sassi, précité,
§ 52). La Cour considère qu'en
matière pénale, une information
précise et complète des charges
pesant contre un accusé, et donc la
qualification juridique que la juridiction pourrait
retenir à son encontre, est une condition
essentielle de l'équité de la
procédure. 43. S'il est vrai que les dispositions de
l'article 6 § 3 a) n'imposent aucune forme
particulière quant à la
manière dont l'accusé doit être
informé de la nature et de la cause de
l'accusation portée contre lui (voir,
mutatis mutandis, Kamasinski,
précité, § 79), elle doit
toutefois être prévisible pour ce
dernier. 44. Enfin, quant au grief tiré de
l'article 6 § 3 b) de la Convention, la Cour
estime qu'il existe un lien entre les
alinéas a) et b) de l'article 6 § 3 et
que le droit à être informé sur
la nature et la cause de l'accusation doit
être envisagé à la
lumière du droit pour l'accusé de
préparer sa défense. 45. La Cour relève en l'espèce que
dans les actes provisoires d'accusation (paragraphe
7 ci-dessus), le requérant était
accusé d'un délit continu de «
génocide » au visa de l'article 607
§ 2 du code pénal et d'un délit
continu de provocation à la discrimination
pour des motifs de race, sur le fondement de
l'article 510 § 1 du code pénal.
Toutefois, bien que les actes d'accusation
n'eussent pas qualifié autrement que par
l'expression générique «
délit de génocide » la conduite
dont la condamnation était sollicitée
(paragraphes 7 et 34 ci-dessus), la Cour observe
que tant le ministère public que les parties
accusatrices privées s'étaient
fondés sur des faits relevant de la
négation de l'Holocauste, sur la base d'une
partie du matériel saisi lors des
perquisitions. S'agissant plus
particulièrement des accusateurs
privés, la Communauté
israélite de Barcelone avait, pour sa part,
sollicité provisoirement la condamnation du
requérant pour « négation du
génocide subi par le peuple juif et de
tentative de réhabilitation du régime
nazi » ; l'autre accusateur privé,
ATID-SOS Racisme Catalunya, avait de son
côté fondé sa demande
provisoire de condamnation du requérant sur
le fait que « bon nombre des livres et
vidéos saisis niaient directement
l'Holocauste ou faisaient l'apologie du
génocide » (...) « et niaient la
vérité historique du génocide
». Après l'administration des preuves,
ces actes d'accusation provisoires avaient
été transformés en actes
d'accusation définitifs, sans qu'aucune
modification des qualifications provisoires
n'intervînt. 46. Par le jugement du 16 novembre 1998 du juge
pénal no 3 de Barcelone, le requérant
fut condamné pour délits continus
« de génocide », au visa de
l'article 607 § 2 du code pénal, et de
provocation à la discrimination, à la
haine et à la violence contre des groupes ou
des associations pour des motifs racistes et
antisémites, sur le fondement de l'article
510 § 1 du même code. La Cour constate
que les faits (reproduits intégralement au
paragraphe 8 ci-dessus) considérés
comme établis par ce jugement avaient trait
principalement « à la distribution et
[à la] vente de matériels
(...) dans lesquels, de façon
réitérée et vexatoire à
l'égard du groupe social formé par la
communauté juive, étaient niés
la persécution et le génocide subis
par ce peuple pendant la Seconde Guerre mondiale
». Parmi les paragraphes des ouvrages saisis
qui étaient cités dans le jugement en
cause figurent les phrases suivantes : «
[Six millions de morts ] , ... cette
affirmation constitue l'invention la plus colossale
et l'escroquerie la plus caractérisée
jamais écrite », ... «
[le] ''Rapport Leuchter (La fin d'un
mensonge : chambres à gaz et Holocauste
juif)'' ... détruit pour toujours le
mensonge infâme de l'Holocauste juif. Il n'y
a jamais eu de chambres à gaz ni
d'holocauste. La nature juive elle-même
édifie son existence sur le mensonge, le
plagiat, le faux, depuis les temps le plus
lointains. Ce sont leurs livres, comme le Talmud,
qui le disent. Alfred Rosenberg avait
déclaré : ''la vérité
du Juif est le mensonge organique. L'Holocauste est
un mensonge. Les chambres à gaz sont un
mensonge ; les savons faits avec de la graisse de
Juif sont un mensonge ; les crimes de guerre nazis
sont un mensonge ; le journal intime d'Anne Frank
est un mensonge. Tout est mensonge ; des mensonges
génétiquement montés par une
anti-race qui ne peut pas dire la
vérité parce qu'elle se
détruirait, parce que son aliment, son air
et son sang sont le mensonge'' ». Le livre
« Absolution pour Hitler » affirme «
les chambres à gaz sont des fantasmes de
l'après-guerre et de la propagande,
comparables dans toute leur extension aux
immondices recueillies pendant la 1re Guerre
mondiale. La Solution finale n'était pas un
plan de destruction mais d'émigration.
Auschwitz était une fabrique d'armement et
non pas un camp d'extermination. Il n'y a pas eu de
chambres à gaz ; il n'y avait pas de
chambres semblables dans lesquelles les enfants,
les femmes et les vieillards auraient
été envoyés pour y être
gazés, apparemment avec du Zyklon-B. Ceci
n'est que légende et commérage. Il
n'y a pas eu de chambres à gaz à
Dachau, il n'y en a pas eu non plus dans d'autres
camps de concentration en Allemagne ». Les
« lettres » rédigées par le
requérant affirmaient sous le titre «
Le mythe d'Anne Frank », entre autres : «
Le mythe, ou devrait-on plutôt dire l'arnaque
( ?), d'Anne Frank est probablement les deux choses
en même temps, d'après les recherches
qu'on a faites à cet égard. Connue
dans le monde entier pour son fameux Journal
intime, elle est sans aucun doute « la victime
de l'Holocauste la plus connue » (...) Mais le
cas d'Anne Frank n'est pas différent de
celui de beaucoup d'autres Juifs assujettis
à la politique de mesures antisémites
[qui fut] mise en uvre en temps de
guerre par les puissances de l'Axe (...) Elle fut
transférée, avec beaucoup d'autres
Juifs, au camp de Bergen-Belsen, en Allemagne du
Nord où, comme d'autres personnes du groupe,
elle tomba malade du typhus, maladie dont elle
mourut à la mi-mars 1945. Elle ne fut donc
ni exécutée ni assassinée.
Anne Frank mourut, tout comme des millions de
personnes non-juives en Europe pendant les derniers
mois du conflit, en tant que victime indirecte
d'une guerre dévastatrice. » 47. La Cour observe que devant l'Audiencia
Provincial en appel, à la suite de
l'arrêt no 235/2007 du Tribunal
constitutionnel ayant déclaré
inconstitutionnel l'article 607 du code
pénal dans sa partie relative à la
négation de génocide, le
ministère public avait retiré
l'accusation de négation de génocide
et demandé l'acquittement du
requérant du « délit de
génocide » prévu par la
disposition susmentionnée du code
pénal. De cette décision du
ministère public, on pouvait raisonnablement
déduire que la conduite visée par
l'accusation publique ne se distinguait pas de
celle dont l'incrimination avait été
levée par le Tribunal constitutionnel. Il
est vrai toutefois que les parties accusatrices
privées demandèrent à
l'audience la confirmation du jugement rendu par le
juge a quo et le maintien de la condamnation en
vertu de l'article 607 § 2 du code
pénal. En particulier la Communauté
israélite de Barcelone soutenait que le
requérant employait des techniques de
propagande pour réhabiliter le régime
national-socialiste et qu'il existait des
éléments suffisants pour estimer que
le jugement a quo ne condamnait pas le
requérant uniquement pour la négation
de l'Holocauste, mais aussi parce qu'il aurait
incité à la discrimination et
à la haine raciales envers les Juifs en
affirmant que ceux-ci « doivent être
éliminés comme des rats ».
Toutefois, la Cour relève que l'Audiencia
Provincial a estimé à cet
égard dans son arrêt qu'il n'y avait
pas dans le matériel saisi, en particulier
dans le film « le Juif errant », de
références expresses à ce que
les Juifs dussent être exterminés
comme les rats et qu'en tout état de cause
il ne pouvait pas être conclu que la
majorité du matériel saisi
promût l'extermination des Juifs. 48. Le Gouvernement ne conteste pas le fait que
le requérant s'était
déjà exprimé à
l'audience avant même de connaître le
contenu des arguments des parties accusatrices en
appel et ne s'était vu à aucun moment
reprocher clairement une éventuelle conduite
de justification du génocide. La
Communauté israélite de Barcelone
avait bien tenté de formuler un tel reproche
à la suite de l'arrêt no 235/2007 du
Tribunal constitutionnel, mais ses arguments selon
lesquels le requérant aurait promu des
idées favorables à l'extermination
des Juifs ne furent pas retenus par l'Audiencia
Provincial (paragraphes 16 et 47). 49. Le Gouvernement n'a fourni aucun
élément susceptible d'établir
que le requérant a été
informé du changement de qualification
effectué par l'Audiencia Provincial. La Cour
relève que même dans sa
décision du 14 septembre 2000 (paragraphe 11
ci-dessus) dans laquelle l'Audiencia Provincial
opta pour le renvoi d'une question
préjudicielle de constitutionnalité,
elle ne fit aucune remarque sur la
possibilité de donner une qualification
différente à la conduite du
requérant, se bornant à estimer que
l'incrimination de la conduite visée par
l'article 607 § 2 du code pénal pouvait
entrer en conflit avec la liberté
d'expression, dans la mesure où la conduite
incriminée consistait en la simple diffusion
d'idées ou de doctrines, sans aucune
exigence d'autres éléments tels que
l'incitation à des comportements violant les
droits fondamentaux ou l'accompagnement de cette
diffusion par des expressions ou manifestations
attentatoires à la dignité des
personnes. 50. La Cour constate qu'il ne ressort pas du
dossier que l'Audiencia Provincial ou le
représentant du ministère public
aient, au cours des débats,
évoqué la possibilité d'une
requalification ou même simplement
relevé l'argument des parties accusatrices
privées. 51. Au vu de ces éléments, la Cour
considère qu'il n'est pas établi que
le requérant aurait eu connaissance de la
possibilité d'une requalification des faits
de « négation » en «
justification» du génocide par
l'Audiencia Provincial. Compte tenu de la «
nécessité de mettre un soin
extrême à notifier l'accusation
à l'intéressé » et du
rôle déterminant joué par
l'acte d'accusation dans les poursuites
pénales (Kamasinski, précité,
§ 79), la Cour estime que les arguments
avancés par le Gouvernement, pris ensemble
ou isolément, ne peuvent suffire à
justifier le respect des dispositions de l'article
6 § 3 a) de la Convention. 52. La Cour estime par ailleurs qu'elle n'a pas
à apprécier le bien-fondé des
moyens de défense que le requérant
aurait pu invoquer s'il avait eu la
possibilité de débattre de la
question de savoir si les faits pouvaient
être qualifiés de justification du
génocide. Elle relève simplement
qu'il est vraisemblable que ces moyens auraient
été différents de ceux choisis
pour combattre l'accusation de «
négation » du génocide qui avait
été portée contre lui (Adrian
Constantin c. Roumanie, no 21175/03, § 25, 12
avril 2011, Drassich c. Italie, no 25575/04, §
40, 11 décembre 2007). La Cour se borne
à noter qu'à la suite de
l'arrêt du Tribunal constitutionnel,
l'Audiencia Provincial de Barcelone a
écarté les faits qualifiables de
négation de génocide et a
considéré le requérant comme
auteur d'un délit de justification de
génocide sans toutefois individualiser sa
conduite en tant que libraire par rapport à
celle qu'auraient pu avoir les auteurs ou les
éditeurs des ouvrages litigieux saisis. 53. Compte tenu de ce qui précède,
la Cour considère que la justification du
génocide ne constituait pas un
élément intrinsèque de
l'accusation initiale que l'intéressé
aurait connu depuis le début de la
procédure (voir, a contrario, De Salvador
Torres c. Espagne, 24 octobre 1996, § 33,
Recueil des arrêts et décisions
1996_V). 54. La Cour estime dès lors que
l'Audiencia Provincial de Barcelone devait, pour
faire usage de son droit incontesté de
requalifier les faits dont elle était
régulièrement saisie, donner la
possibilité au requérant d'exercer
son droit de défense sur ce point d'une
manière concrète et effective, et
donc en temps utile. Tel n'a pas été
le cas en l'espèce, seul l'arrêt rendu
en appel lui ayant permis de connaître, de
manière tardive, ce changement de
qualification. 55. Eu égard à tous ces
éléments, la Cour conclut qu'il y a
eu violation du paragraphe 3 a) et b) de l'article
6 de la Convention, combiné avec le
paragraphe 1 du même article. III. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE
DES ARTICLES 9 ET 10 DE LA CONVENTION 56. Le requérant fait valoir que sa
condamnation pour délit de justification de
génocide porte atteinte à ses droits
à la liberté de pensée et
d'expression. Il invoque les articles 9 et 10 de la
Convention qui, dans leurs parties pertinentes,
sont ainsi libellés : Article 9 « 1. Toute personne a droit à la
liberté de pensée, de conscience
(...) ; ce droit implique la liberté de
changer de religion ou de conviction, ainsi que la
liberté de manifester sa religion ou sa
conviction individuellement ou collectivement, en
public ou en privé, par le culte,
l'enseignement, les pratiques et l'accomplissement
des rites. 2. La liberté de manifester sa religion
ou ses convictions ne peut faire l'objet d'autres
restrictions que celles qui, prévues par la
loi, constituent des mesures nécessaires,
dans une société démocratique,
à la sécurité publique,
à la protection de l'ordre, de la
santé ou de la morale publiques, ou à
la protection des droits et libertés
d'autrui. » Article 10 « 1. Toute personne a droit à la
liberté d'expression. Ce droit comprend la
liberté d'opinion et la liberté de
recevoir ou de communiquer des informations ou des
idées sans qu'il puisse y avoir
ingérence d'autorités publiques
(...). 2. L'exercice de ces libertés comportant
des devoirs et des responsabilités peut
être soumis à certaines
formalités, conditions, restrictions ou
sanctions prévues par la loi, qui
constituent des mesures nécessaires, dans
une société démocratique,
à la sécurité nationale,
à l'intégrité territoriale ou
à la sûreté publique, à
la défense de l'ordre et à la
prévention du crime, à la protection
de la santé ou de la morale, à la
protection de la réputation ou des droits
d'autrui, pour empêcher la divulgation
d'informations confidentielles ou pour garantir
l'autorité et l'impartialité du
pouvoir judiciaire. » 57. Selon le Gouvernement, le requérant
éditait et diffusait, sous couvert d'une
librairie commerciale, des ouvrages justifiant
l'Holocauste juif, et le contenu de ces
publications montrait une volonté claire de
ridiculiser la communauté juive, en la
qualifiant de génétiquement menteuse
et en incitant, bien que de façon indirecte,
à la discrimination, à la haine et
à la violence contre cette
communauté. Le Gouvernement note que le
requérant fut condamné à une
peine de sept mois d'emprisonnement, dont
l'exécution pouvait être suspendue
dans certaines circonstances. Compte tenu de la
gravité des faits et de la courte
durée de la peine infligée,
l'ingérence dans la liberté
d'expression du requérant ne saurait
être considérée comme
disproportionnée. 58. Le requérant estime, s'appuyant sur
l'arrêt Jersild c. Danemark (23 septembre
1994, série A no 298), que la notion de
« discours de haine » ne trouve pas
à s'appliquer en l'espèce. Il expose
qu'est seulement en cause une librairie qui vend au
public des ouvrages présentant une vision
particulière de l'histoire ou l'opinion des
protagonistes, du côté allemand, de la
Seconde Guerre mondiale, en soulignant que sa
librairie n'a fait l'objet d'aucune injonction de
fermeture à la suite de sa condamnation et
que l'accusation n'a pas été en
mesure de démontrer que ses clients
étaient des adeptes de la violence. Par
ailleurs, le requérant expose qu'il n'a pas
de casier judiciaire et qu'il mène une
activité commerciale à
caractère spécialisé. Il
estime disproportionné le fait d'avoir
été condamné pour la vente de
livres non interdits et que l'on trouve aussi bien
dans d'autres librairies et
bibliothèques. 59. La Cour observe que les griefs
invoqués par le requérant concernant
les articles 9 et 10 de la Convention sont
intimement liés aux griefs soulevés
au titre de l'article 6 de la Convention. Eu
égard au constat relatif à l'article
6 (paragraphe 55 ci-dessus), la Cour estime qu'il
n'y a pas lieu d'examiner de surcroît s'il y
a eu, en l'espèce, violation de ces
dispositions. IV. SUR L'APPLICATION DE L'ARTICLE 41 DE LA
CONVENTION 60. Aux termes de l'article 41 de la
Convention, « Si la Cour déclare qu'il
y a eu violation de la Convention ou de ses
Protocoles, et si le droit interne de la Haute
Partie contractante ne permet d'effacer
qu'imparfaitement les conséquences de
cette violation, la Cour accorde à la
partie lésée, s'il y a lieu, une
satisfaction équitable. » A. Dommage 61. Le requérant réclame
125 000 euros (EUR) au titre du préjudice
moral qu'il aurait subi, dont 100 000 EUR
correspondraient à la violation du droit
à être informé de
l'accusation et 25 000 EUR à celle de la
liberté de pensée et de la
liberté d'expression.62. Le Gouvernement estime que le simple
constat de violation de la Convention suffirait
à réparer les dommages
allégués. 63. La Cour estime que le requérant a
subi un préjudice moral auquel le constat
de violation de la Convention figurant dans le
présent arrêt ne suffit pas
à remédier (voir, mutatis
mutandis, Cianetti c. Italie, no 55634/00,
§ 53, 22 avril 2004, et Gómez de
Liaño y Botella c. Espagne, no 21369/04,
§ 83, 22 juillet 2008). Eu égard aux
circonstances de la cause, à la nature de
la seule violation constatée et statuant
en équité comme le veut l'article
41 de la Convention, elle décide
d'octroyer au requérant la somme de 8 000
EUR au titre du préjudice moral. B. Frais et dépens 64. Le requérant demande
également 5 000 EUR pour les frais et
dépens engagés devant la Cour.65. Le Gouvernement estime que ce montant est
excessif et s'en remet à la sagesse de la
Cour. 66. Selon la jurisprudence de la Cour, un
requérant ne peut obtenir le
remboursement de ses frais et dépens que
dans la mesure où se trouvent
établis leur réalité, leur
nécessité et le caractère
raisonnable de leur taux. En l'espèce et
compte tenu des documents en sa possession et de
sa jurisprudence, la Cour estime raisonnable la
somme réclamée et l'accorde au
requérant. C. Intérêts moratoires 67. La Cour juge approprié de calquer le
taux des intérêts moratoires sur le
taux d'intérêt de la facilité
de prêt marginal de la Banque centrale
européenne majoré de trois points de
pourcentage. PAR CES MOTIFS, LA COUR, À
L'UNANIMITÉ, - 1. Joint au fond l'exception tirée de
l'article 17 de la Convention et la rejette
;
- 2. Déclare la requête recevable
;
- 3. Dit qu'il y a eu violation de l'article 6
§§ 1 et 3 a) et b) de la Convention
;
- 4. Dit qu'il n'y a pas lieu d'examiner de
surcroît s'il y a eu, en l'espèce,
violation des articles 9 et 10 de la Convention
;
- 5. Dit
- a) que l'État défendeur doit
verser au requérant, dans les trois mois
à compter du jour où l'arrêt
sera devenu définitif conformément
à l'article 44 § 2 de la Convention,
les sommes suivantes :
- i) 8 000 EUR (huit mille euros), plus
tout montant pouvant être dû
à titre d'impôt, pour dommage
moral ;
- ii) 5 000 EUR (cinq mille euros), plus
tout montant pouvant être dû
à titre d'impôt par le
requérant, pour frais et dépens
;
- b) qu'à compter de l'expiration dudit
délai et jusqu'au versement, ces montants
seront à majorer d'un
intérêt simple à un taux
égal à celui de la facilité
de prêt marginal de la Banque centrale
européenne applicable pendant cette
période, augmenté de trois points
de pourcentage ;
6. Rejette la demande de satisfaction
équitable pour le surplus. Fait en français, puis communiqué
par écrit le 5 mars 2013, en application de
l'article 77 §§ 2 et 3 du
règlement. - Santiago Quesada
- Greffier
- Josep Casadevall
- Président
|