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Liberation

Le mardi 18 janvier 2000


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David Irving, négationniste, contre-attaque L'historien anglais traîne en justice une universitaire américaine pour diffamation.

Par FRANÇOIS SERGENT

 

 

Le négationnisme et la loi en France

En France, le négationnisme tombe sous le coup de la loi Gayssot votée, le 13 juillet 1990, au moment de l'affaire de Carpentras. Elle renforce les sanctions prévues par la loi du 1er juillet 1972 contre le racisme et introduit le délit de «contestation de crimes contre l'humanité», passible d'une peine allant jusqu'à un an de prison et 300 000 F d'amende. Robert Faurisson, qui nie l'existence des chambres à gaz depuis 1978, a été le premier à être condamné, le 18 avril 1991, à 100 000 F d'amende - ramenée à 30 000 F en appel - en vertu de cette loi pour avoir exposé ses thèses dans une revue d'extrême droite. Il a ensuite été condamné à plusieurs reprises pour le même délit. La «contestation de crimes contre l'humanité» était également l'un des chefs d'accusation pour lesquels Roger Garaudy a été reconnu coupable le 27 février 1998, condamnation confirmée et renforcée en appel le 16 décembre 1998. Son livre, les Mythes fondateurs de la politique israélienne, exposait des arguments négationnistes. Alexandra Fresse

 

Londres de notre correspondant

L'Holocauste est en procès dans un tribunal de Londres. Ainsi en a décidé le Britannique David Irving, historien négationniste et à succès qui voudrait sauver sa réputation déjà sérieusement entachée. Irving a porté plainte pour diffamation contre Deborah Lipstadt, professeur à l'université Amory d'Atlanta, qui l'accuse d'être «un partisan d'Hitler».

Irving est un homme dangereux, parce qu'il a du talent. Avant de sombrer dans le négationnisme rampant, il fut l'un des historiens les plus populaires de Grande-Bretagne. Ses livres sur le IIIe Reich furent tous des best-sellers, soulevant à chaque fois controverses et passions. Germaniste exceptionnel, Irving est un fou des archives et il a plusieurs fois découvert des documents qui ont changé l'historiographie du IIIe Reich.

Témoin et avocat. Dans la petite salle 73 de la Haute Cour de Londres, il a choisi de se défendre seul, pied à pied. Portant bien la soixantaine, Irving, qui a des allures de boxeur à la retraite, est tour à tour témoin et avocat. Son procès fait recette. Le tribunal a dû déménager, la salle retenue la semaine dernière pour l'ouverture du procès était trop petite. Des rescapés de l'Holocauste, des jeunes juifs en kippa, de rares proches du dangereux historien se pressent jour après jour pour voir Irving défendre ses thèses périlleuses.

L'historien, âgé de 61 ans et fils d'un capitaine de vaisseau qui se battit contre l'Allemagne, a une obsession qui traverse tous ses livres: exonérer Hitler et sauver la réputation du Führer. Son livre intitulé la Guerre entre les généraux essayait de montrer que la solution finale s'était faite à l'insu du leader nazi. Redoutable utilisateur de la preuve par la négative, Irving explique qu'aucun document portant la signature d'Hitler et ordonnant l'extermination des juifs n'existe. Ce qui est vrai mais ne fait aucun cas d'un amas de preuves et autres éléments établissant sans le moindre doute l'implication d'Hitler dans l'Holocauste. Irving propose même sur son site Internet 1 000 dollars (6 000 francs) à tout historien retrouvant un papier le contredisant.

«Documents déformés». Pour Deborah Lipstadt, qui fait partie d'une école de jeunes historiens juifs américains résolus à traquer les idées néonazies et négationnistes, Irving est d'autant plus dangereux qu'il est présentable. Dans son livre, elle l'accuse d'être «un partisan d'Hitler qui porte des œillères et déforme les documents, afin d'aboutir à des conclusions historiquement intenables, spécifiquement celles qui excusent Hitler». L'historienne, dans son ouvrage Denying the Holocaust: the Growing Assault on Truth and Memory («Nier l'holocauste: l'assaut grandissant contre la vérité et le souvenir»), publié chez Penguin il y a quatre ans, affirme aussi qu'Irving a «applaudi à l'internement des juifs dans les camps de concentration». Elle dénonce aussi Irving pour s'être associé «aux pires antisémites comme Faurisson, les Russes de Pamyat, ou la "Nation de l'islam" de Louis Farakkan, ou aux hezbollahs libanais».

«Une exécution». Pour Irving, les accusations de Deborah Lipstadt ont détruit sa réputation d'historien et plus encore ont amené sa ruine. Ses éditeurs habituels, aussi respectables que Saint Martin's Press, Penguin, Holt ou Viking ont refusé de continuer à distribuer ses livres, et la plupart de ses ouvrages sont désormais imprimés à compte d'auteur. Pour le Britannique, qui a entamé le 11 janvier son procès, «il s'agit du portrait d'une exécution», et il demande réparation. Au-delà, Irving présente son procès comme un combat pour la liberté d'expression. A la différence de la France ou de l'Allemagne, où Irving a été condamné pour ses thèses, il n'existe pas en Grande-Bretagne ni aux Etats-Unis de lois interdisant de nier l'Holocauste, et Irving veut pouvoir poursuivre librement ses dangereuses entreprises de réhabilitation d'Hitler (lire encadré ci-dessous).

Le procès doit durer trois mois et s'annonce comme l'un des plus chers de l'histoire judiciaire britannique. Si Irving, fidèle à sa réputation de don Quichotte et croisé de sa vérité, se bat seul, Deborah Lipstadt et Penguin se sont adjoint l'aide des plus chers avocats du pays, dont Anthony Julius, qui défendit la princesse Diana lors de son divorce. Sous les attaques d'un adversaire habile et retors comme Irving, les défenseurs de Deborah Lipstadt se retrouvent contraints de répondre point par point aux allégations, y compris les plus absurdes des négationnistes. Ils ont ainsi commandé un rapport de 800 pages à Robert Jan Van Pelt - le spécialiste d'Auschwitz - qui explique: «L'idée même de prouver l'Holocauste est ridicule, je pense que le procès m'a obligé à étudier des éléments que j'aurais préféré ne pas étudier dans le passé.»

Chambres à gaz niées. Ainsi, pour Irving, Auschwitz n'était pas un camp d'extermination, mais une prison où les travailleurs forcés avaient un taux de mortalité exceptionnellement élevé. Le Britannique affirme même que les chambres à gaz ont été construites après la guerre par les Polonais pour les touristes. Irving est aussi un défenseur du «rapport» fantaisiste préparé par Fred Leuchter, un pseudo-scientifique américain, qui alléguait que les concentrations de gaz mortel étaient insuffisantes dans le camp de la mort pour tuer les juifs et les autres victimes du nazisme. Van Pelt montre comment les doses de gaz zyklon B étaient calculées par les nazis et combien de temps - 35 minutes - les juifs mettaient à mourir dans les chambres à gaz.

Ce travail historiographique aussi odieux qu'il puisse paraître a déjà été entrepris par les historiens de l'Holocauste comme Raul Hilberg, qui ont ainsi revu le nombre de juifs tués, notamment à Auschwitz, réfutant ainsi les arguments des Irving et leurs semblables qui s'indignent d'un prétendu tabou frappant l'histoire de l'Holocauste. Il reste à savoir si une cour britannique est le meilleur lieu pour dire l'histoire. La semaine dernière à l'issue d'un long débat entre Irving et un avocat de l'historienne américaine, le Britannique a rappelé qu'en droit anglais «un homme est innocent jusqu'à ce qu'il soit prouvé coupable». «A cette seconde, rapporte l'historien Neal Ascherson, il y eut un terrible silence dans la cour. Nous parlions d'Hitler.»


Paris, January 18, 2000
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